Guy Simard

« Oui, mais de quelle couleur? »

« Vert Kelly,» me hurle l’autre moucheur, d’en amont. Nous étions seuls, lui et moi, sur la rivière, sans se connaître. Dans l’eau froide jusqu’aux coudes sur un des meilleurs trous de la Saranac, à la tombée du jour. Un moment magique…

Sauf que depuis un quart d’heure, je le voyais ferrer une truite après l’autre. C’est long un quart d’heure quand on ne réussit même pas à comprendre ce que veut la truite. Et plutôt frustrant de se le faire dire! Surtout que j’avais déjà une caddis #18 olive sur mon bas de ligne; c’était bien une éclosion de ‘little olive’ et non de ‘green sedge’… mystère…

Mais, de toute évidence, l’autre pêcheur avait compris ce qui m’échappait encore. La pêche à la mouche en est une d’observation : il faut commencer par voir pour finir par comprendre. Et la vue y joue un rôle primaire. (Pour la noyée et la nymphe, il faut apprendre à voir sous l’eau évidemment). L’ouie, elle, tient un rôle secondaire; à part les gloupes de gobage et les flic-flacs d’attaque et de capture, on peut se reposer les oreilles au bruit du vent, de l’eau et des oiseaux. Ou de Shania Twain.

LE DERNIER CHOIX


À la truite, le vrai moucheur, celui qui imite fidèlement l’éclosion en cours, se retrouve infailliblement devant les mêmes trois choix. Taille, forme, couleur. Le premier est incontournable : si la taille varie de plus d’un point, inutile de présenter. Le second choix dépend des conditions : plus l’eau est limpide, plus la silhouette doit être réaliste. Le dernier choix, la couleur, reste… le dernier choix.

«C’est le moins important!» On entend ça souvent et on le lit à l’occasion. Sans doute parce que c’est l’observation la plus difficile à garantir. Et que deux données sur trois, avec un peu de chance, sauvent généralement l’honneur. Généralement.

Mais au lieu d’oublier la couleur, on peut aussi choisir d’en faire son atout. Pour créer des mouches plus spécifiques à son lieu de pêche. Et surtout plus attirantes pour la truite. Cela exige, vous l’avez deviné, un minimum de recherche.

VOIR ET ÊTRE VU


Dans tout le règne animal, les yeux se sont développés à peu près de façon identique. De sorte que les poissons voient grosso modo la même chose que nous 1 . Si la nuit leur vision est limitée au noir et blanc, la lumière du jour leur permet de distinguer toutes les nuances de la couleur. Même à l’aube et au crépuscule où la majorité des espèces, se sentant moins menacés, préfèrent chasser et se nourrir. Même constat sous un ciel gris.

Par contre, la clarté de l’eau affecte grandement ce que voit le poisson. C’est peu comme conduire dans la brume, la fumée ou la neige. Plus l’eau est sale, colorée ou agitée, moins il voit loin. C’est pourquoi une mouche ‘impressioniste’ est souvent plus payante en eau vive. Pensez à toutes les mouches de Fran Betters. Ou la Mickey Finn, mouche irréaliste s’il en est une, mais facile à repérer dans les pires conditions.

L’EAU ORANGE PEKOE


Quel que soit votre “spot” de prédilection, chaque lac, chaque rivière a sa couleur. Des grises de la Côte-Nord aux émeraudes d’Anticosti et des “gins” de Gaspésie aux rouilles de Lanaudière, tous et toutes sont colorés. Ma rivière préférée varie du“light cahill” le printemps à “amber” en saison, puis l’automne au “cinnamon caddis” ( © Charte des couleurs Le Moucheux). Bref, avant d’essayer de penser comme le poisson, il faut d’abord voir comme lui. Imaginez percevoir le monde (et le ciel) à travers un filtre “orange pekoe”.

Ça change tout!!!

LA THÉORIE DES COULEURS


La lumière blanche que l’on perçoit est composée d’un arc-en ciel de lumières colorées. On ne peut les voir, sauf à l’aide d’un prisme, comme le découvrit Newton. Pour le pêcheur, il suffit de comprende comment le phénomène influence la perception du poisson et la mouche qu’on lui présente.

Selon le principe de Young, on obtient la lumière blanche en superposant seulement trois faisceaux de lumière filtrée. Un bleu foncé, un rouge vif et un vert intense. Ce sont les couleurs-lumière dites primaires. On comprendra du coup l’utilité des filtres pour aider le pêcheur à mieux voir. Par exemple, dans une eau ambrée, les lunettes de couleur ambre permettent de distinguer tout ce qui n’est pas de couleur ambre, comme les roches, les truites et… les trous. D’autant plus si leur verre esr polarisé contre les reflets sur l’eau.

Mais jusqu’à preuve du contraire, la truite, elle, ne porte pas de lunettes. Alors comment faire en sorte dans ces conditions pour qu’elle voit mieux nos mouches?

LA LUMIÈRE RÉFLÉCHIE


Théorie des couleurs, chapitre deux. «Tous les corps opaques, lorsqu’ils sont éclairés, ont la propriété de réfléchir la lumière qu’ils reçoivent en tout ou en partie». C’est ce qu’on perçoit comme étant la couleur. La tomate nous paraît rouge… et ainsi de suite. Pour obtenir une couleur, on doit additionner des pigments (ou soustraire de la lumière). Le principe est le même pour la peinture, la photo, l’imprimerie, l’ordinateur… et le montage de mouches.

Quel que soit le matériau, plume, poil, tinsel, soie ou autre, la couleur de nos mouches est constituée de lumière réfléchie. Prenez le herl de paon. On connait depuis des lunes son attrait fatal pour la truite. De la Griffith’s Gnat à la Zug Bug en passant par l’Alexandra, ça marche! Posez la loupe sur un bout de herl. Maintenant bougez-le. C’est un vrai kaléidoscope de lumière réféchie. Pas étonnant que la truite s’y laisse titiller l’oeil! Aujourd’hui beaucoup de produits synthétiques recherchent le même effet et sont d’un grand secours pour les mouches dites ‘attractives’.

LA COULEUR OPTIMALE


Mais le problème reste entier pour les mouches classiques ou imitatives. Comment en respecter la toilette? Mais comment rendre chaque mouche aussi performante que possible?

D’abord en regardant chacune des mouches qu’on présente à travers le filtre coloré de la rivière ou du lac où l’on pêche. Faute d’échantillon d’eau, le thé, allant du vert au noir, est un excellent substitut. Il suffit d’observer comment la couleur de l’eau altère la couleur des matériaux. Comment elle les assombrit et en diminue les contrastes. Le but recherché n’est pas de remplacer les couleurs mais de donner le maximum d’éclat à la bonne couleur.

Par exemple, en eau rouille on peut ajouter du citron à la Yellow Sally ou du gingembre à la Adams.

Mais à vous d’explorer maintenant! Moi, il faut que je corrige mes caddis#16 olive avec un brin jaune fluo…

Bonne pêche, GS